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Pour moi l'art appartient à la sphère du sacré et ne peut en aucun cas être assimilé à un travail ou au divertissement profane. Je crois au chef-d'oeuvre car l'objet d'art, pour moi, est une espèce de procès-verbal, un témoignage de la rencontre avec les dieux. L'objet d'art par excellence, c'est le totem, ou le bâton de sorcier sculpté, avec ses plumes, ses morceaux d'os, ses gris-gris suspendus. Un tableau réussi, par exemple «La pie» de Monet, n'est pas autre chose à mes yeux. Si l'art abstrait tente d'épurer les signes de la beauté, il n'en continue pas moins à fonctionner de la même manière.
Il va sans dire que ma définition exclut tout ce qui met en scène le chaman avant sa rencontre mystique, tout ce qui se donne actuellement comme art et n'est en fait que la présentation dramatique de la recherche de celui-ci.

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Il faut être infantile pour croire au bonheur, et un enfant pour posséder la joie de vivre.

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Nous ne savons pas pourquoi la conjonction de formes et de couleurs, de signes, de valeurs, peints sur une toile, provoque en nous une émotion incomparable que nous appelons l'art. Nous ne le savons pas et nous ne le saurons jamais. Mais nous pouvons facilement supposer que cet agencement miraculeux exprime une loi complexe -harmonie, contraste, équilibre des différences, etc...- inexprimable autrement, qui, en l'évoquant, nous rappelle l'existence du divin.

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Les gens qui ont fait des pyramides autrefois voulaient construire des édifices durables aussi hauts que possible, probablement des gratte-ciels s'ils l'avaient pu. Mais, ne possédant qu'une technologie rudimentaire, ils durent dessiner une base gigantesque pour empiler la pierre jusqu'à la hauteur désirée. Des préoccupations plus intéressantes s'y ajoutèrent sans doute, choix du lieu, proportions, etc... Inutile malgré tout de chercher à l'origine de ces constructions un quelconque ésotérisme du triangle et un mystère autre que la prétention et la vanité stupides.

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Je ne sais pas exactement ce que je cherche. Peut-être le rêve érotique que j'ai commencé enfant quand j'étais la proie de messieurs très gentils et persuasifs. Quel rêve exactement ? Celui, peut-être, je ne fais encore que supposer, impossible, d'une licence absolue sous contrôle, sous domination, et sans conséquence ? OU reconnaître que je porte en moi la haine du Mal !

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Nuit crétoise


Aussi éloignés l'un de l'autre que soient le ciel et la terre, il y a des canyons crétois, des criques de pierre rouge aux parois prismatiques, s'élevant de la mer, qui communiquent directement avec le cosmos...
Durant les chaudes nuits phosphorescentes, dans les petits bois des sommets parcourus par les chèvres sauvages, des étincelles flamboient soudain entre les troncs puis circulent comme des éclairs avant de disparaître.
De grands rires relancés par l'écho se font entendre, rires inexplicables sans propriétaire, roulant comme des éboulis.
La nuit brille comme une patine d'objet précieux...
O nuit crétoise...l'unique amie.
D'un pâle et pur rayon de lune glissant en travers sur l'à-pic ruissellent tout-à-coup des pierres précieuses...
.......................................
Les braconniers, tueurs de marcassins, qui sont venus ici reviendront : assassins !

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« Heureusement que l'Anarchie éclaire le monde de sa pure lumière. » Jean Paulhan.
Bah oui ! je suis anarchiste... Je suis contre tout système... Je déteste les agrégats humains, les conglomérats, les grumeaux... Je n'aime que le lait humain bien lisse, la crème bien sûr, qui se forme toute seule, mais pas le beurre baratté par le diable, la nature humaine battue, fouettée, dans la société.

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Elle avait parfois cet air ahuri, remontant au premier trauma, au premier conflit, des gens vraiment intelligents et bons confrontés dans l'enfance à la dureté destructrice de la connerie, et quoi qu'on ait pu dire méchamment par la suite à ce sujet, sa fierté ou son orgueil, ou encore son mépris d'autrui, n'étaient en réalité que les apparences d'une mortification profonde.

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Je ne sais pas si vous avez déjà croisé un méchant ? C'est quelqu'un, vous savez, qui rêve de vous faire souffrir, de vous torturer, de vous faire rendre l'âme. J'ignore ce qu'il en est pour vous mais moi, ça me donne envie de rire. Toute cette rage, cette misérable volonté de nuire, adressée au Dieu virtuel que je suis, très haut, inaccessible, c'est vraiment comique.

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Mes parents ont été de rares médiocres... Non, ne me dites pas que je suis méchant, comme je l'ai presque cru, comme j'en ai été malade, ce n'est que la vérité.
Comment exister vraiment si l'on n'est pas capable de regarder la réalité en face ? Comment se conduire justement -oui, être un juste, je crois que c'est possible- si l'on n'est pas capable de savoir, au moins rétrospectivement, à qui l'on avait affaire durant toutes ces années de l'enfance, quand tout ce qui arrive, le moindre mot prononcé, un sourcil froncé, un simple silence, est tellement important ?

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Je t'aime parce que tu es bonne, et que tu as un courage d'enfer ! Que tu te sentes et crois être une misérable créature rampante et humiliée, et tendes parfois à te conduire comme telle, n'a vraiment aucune importance à mes yeux puisque tu le dois en réalité à ces deux qualités.

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Le premier pigeon s'est posé sur le mince linteau débordant de la fenêtre. Puis le second, le troisième, le quatrième, le cinquième. Evidemment cet événement échappa à tout le monde.
Pourquoi cette fenêtre et pas une autre, sur cette façade où il s'en trouve exactement cinq très rapprochées et toutes semblables ? Rien d'évident n'expliquait le choix qu'ils faisaient. Ces lois mystérieuses qui régissent l'univers, lois magiques, hors de notre perception directe, font battre mon coeur. Dix minutes après, ils étaient tous partis.

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J'adore le monde que Dieu nous a fabriqué, l'interpénétration de l'esprit dans l'espace et de l'espace dans l'esprit, le flou de l'interface. Une cathédrale de quartz rose renversée à horizontale a glissé sur une pente invisible pour occuper la pelouse sous ma fenêtre parce que j'ai bu, peut-être, un verre de trop, ou parce qu'il fait un drôle de temps en cette fin d'après-midi, à la fois tragique et beau, d'une essence si particulière qu'il paraît absolument unique, incomparable, étrange, dangereux, et magique.
Le soleil tout-à-l'heure brillait dans une gelée artificielle grisâtre, spongieuse, maléfique, luminaire noyé, chargé pourtant d'une aura bienveillante, et même d'humour, en parfaite adéquation avec mon esprit.

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-Tant de choses étaient possibles autrefois…
-Elles le sont toujours.
-J'ai perdu ma vie à chercher l'impossible…
-Puisque tu le sais, arrête.
-Si l'on savait combien la vie est courte, on agirait différemment…
-Courte ou longue, n'est-ce pas la même chose ?
-Merde !

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Moi aussi je sais faire des signes d'oiseaux, des signes de becs, de plumes,
plumes, les rachis, les barbes effilées, les duvets, filoplumes,
comme toi sur la toile avec du bleu, du jaune, du vert, toutes les nuances, voluptueuses, exquises, à se pâmer, profondeur, le ciel entier dans un céladon, dans un outremer, noyé, resplendissant, dérivant, plumetis, glaçure,
ô extase,
peinture.

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Je suis dans la chambre, je regarde par la fenêtre.
Dehors il y a un arbre.
Il y a un arbre dehors, dans un autre espace, dans une autre lumière, la lumière radieuse du soleil.
Derrière cet arbre, un autre, différent, dans une autre tranche de l'espace. Puis un autre, tous éclairés particulièrement, magnifiés.
L'espace a l'air d'être découpé en cartes lumineuses, claires, buvables comme une eau fraîche.
Ce n'est pas ma bouche qui boit, c'est mon oeil.
Ce n'est pas mon oeil, c'est mon âme.

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Cette maladie existe-t-elle vraiment ?"
"-Bien sûr qu'elle existe, êtes-vous fou ? Des gens en meurent tous les jours partout dans le monde !"
"-Ce que je veux dire c'est qu'il existe des conditions particulières à l'émergence des maladies, une prédisposition socio-psychologique, un état de l'esprit et de l'âme propice sans lequel aucune atteinte ne serait possible."

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Vivre en banlieue c'est comme être pris dans une nasse qui fuit de partout. Les frontières, qui sont des abstractions vides de sens, vous cernent de toutes parts mais ne délimitent rien. Habitant ici vous êtes amené naturellement à vous retrouver ailleurs, dans la banlieue d'à côté, qui est rigoureusement semblable, mais porte un autre nom, un ailleurs interchangeable, absolument fuyant et identique, qui n'est par-dessus le marché ni la ville ni la campagne, mais tient des deux à la fois.

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Il y a des automnes qui sont aussi prometteurs que des printemps. Cette saison où tout finit paraît conduire à des plaisirs plus exquis encore que n'en promettait le renouveau. Rien que de vague mais dilaté, immense, et serein. La perfection, l'équilibre, l'harmonie.
Tout est apaisé.

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Jusqu'à présent j'ai fait de la littérature comme d'autres font la guerre, éloigné du public comme un militaire de carrière l'est des civils. Malgré l'enjeu des combats, la violence, le danger, aucun encouragement des masses apathiques qui continuent à l'arrière leur train-train pacifique.
Quelle guerre ? Celle qu'un enfant qui a cru en ce qu'on lui enseignait : la bonne parole, la juste expression, l'art, croit devoir faire pour perpétuer ces valeurs.
Jeune homme, mes maladresses, prises pour de l'originalité, me valaient encore un certain succès, mais les indiscutables progrès que j'accomplis à partir de quarante ans mirent bon ordre à cela.
Mais, avais-je raison ? Est-il vrai qu'un artiste doive acquérir son métier avant toute chose, avant de se soucier de notoriété ?
Ou pire erreur encore: avais-je raison de croire que la notoriété découle forcément de la réussite artistique ?
Il se peut bien que j'aie eu tort.

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«Le génie», dit-il, «n'est pas autre chose que l'appréciation préservée de la perspective générale. Rien d'autre que la capacité à reconnaître d'emblée ce qui s'inscrit dans le schéma global, je suis tenté de dire «divin» (à l'instar d'Einstein qui prônait la religiosité naturelle), qu'il s'agisse d'une pensée, d'un concept, d'une prétention morale, etc..., ce qui fait sens, déduit du sens général de la création.
En fait, je suis en train de vous dire que la science infuse existe bel et bien -ça, croyez-moi, est un de mes chevaux de bataille- n'étant au fond rien de plus que la conscience de soi !
Ce n'est pas difficile à prouver», ajouta-t-il. «Songez par exemple à la découverte de la métallurgie ! Comment croire que la simple imitation de la nature, comme on le prétend généralement, ait pu conduire l'homme préhistorique à fondre des minerais ? Cela supposerait, dans le cerveau «vierge» de cette époque, une anticipation de la technologie encore inexistante, le patron d'un comportement, un «programme», ce qui, sous prétexte de rationalité, revient à nier précisément ce dont les rationalistes sont si fiers : la liberté.
N'est-il pas plus logique et plausible que la connaissance des propriétés des minéraux, en tout cas son amorce, surgisse dans l'esprit humain par intuition, suggestion déclenchée par la vie elle-même, la réflexion naturelle ? Prescience, si l'on veut, inspiration, oui, symptôme de ce si répandu génie que nous détruisons systématiquement chez les enfants.»

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Je n'ai pas rêvé : le ciel était vert. La mer soulevée -écran gris, cinéma liquide où se dissout à tout jamais une séquence jouée une seule fois, armée morte, pouvoir délayé- déjà se soulève encore.
O cris de la «rauque chanteuse»
vent disert de la bonne aventure
fluides passes gémeaux navette lancée rattrapée fils d'un écheveau mouillé
il y a là de quoi s'inventer la symphonie même pas musicien
la peinture un peu peintre
la poésie
le monde
la transfiguration.
Nos pieds se crispent sur les rochers.
Bonne tempête enlève nos âmes.

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Je crois que si vous consentez à vous avouer que vous n'avez rien à dire, que vous êtes vide, dénué d'importance -ce que se refusent à faire trop de soi-disant écrivains car ils s'imagineraient sans doute pactiser avec le néant- alors tout-à-coup chaque chose que vous pensez, que vous éprouvez, il devient nécessaire de l'exprimer, il faut la faire entendre.
Qui peut accomplir cela sinon celui qui n'a aucunement choisi d'être ( écrivain ) mais qui assume sa vocation ?
Vous comprenez à présent pourquoi Baudelaire distingue entre les poètes «naturels» et les autres ?

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Je ne suis pas fait pour habiter dans un appartement ; je suis fait pour habiter dans la nature. Oui, je suis fait pour habiter l'espace, la vaste création dominée par le ciel. Le monde varié, où le temps, les saisons, montrent, comme au théâtre, des changements à vue qui grouillent de vies extraordinaires différentes de la mienne. (L'ennui qui m'accable quand je suis dans un appartement n'y existe pas.
Que de vices engendrés par l'ennui ! Pour échapper à la monotonie, on pourrait tuer ! L'esprit moud ses sombres projets au goût amer de meurtre.)
Dehors ! L'abri où je dors n'est pas ma maison, ma maison est le monde ! Ma porte n'est tout au plus qu'un pan de mon manteau dont je me couvre parfois mais je ne peux pas préférer mon vêtement à ma planète.

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