Carnet 9 carnet 10 CARNET 11



coup de foudreQu'on y mette rien ou tout, ou encore pas grand-chose, ou un peu, selon ses capacités, on a besoin de la notion de Dieu pour désigner l'espace qui existe au-dessus du grenier, entre le toit et le toit, si l'on considère qu'il n'y a pas de ciel. Car il y a bien un espace, je le sais pour l'avoir visité à l'âge de cinq ans et demi, arraché à un désespoir absolu, un désespoir à côté duquel celui de Baudelaire eût été minable, hissé par les cheveux jusqu'au firmament infini à travers tous les ciels intermédiaires par milliers, à une vitesse fulgurante, remontant le temps, tous ses anneaux en même temps que les ciels, jusqu'à l'éternité !

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Alors c'est ça : ils sont tous tapis sous l'escalier, blottis, entassés, dans l'obscurité, l'humanité entière, tandis que seuls deux ou trois d'entre eux entament l'escalade, que dis-je, la simple montée des marches, pas grand-chose, pas un exploit... rien que de normal. Et croyez-vous qu'il leur en coûte le moindre effort, à ces deux ou trois-là ? Et bien, non justement ! Ils se laissent plutôt aller, comme sur une pente, tandis que les autres, qui ne bougent pas, serrés les uns contre les autres pour se rassurer, transpirent et souffrent, font le plus d'efforts.

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Nous avons eu quelques belles journées qui se sont succédé assez longtemps pour nous faire croire à un véritable été.
Maintenant, il fait nuit et je suis à la fenêtre, contemplant comme au théâtre la représentation d'une nature souveraine. Il vient de pleuvoir quelques gouttes qui ont fait monter les parfums de l'herbe desséchée. Le ciel semblait vide vers l'ouest, tandis qu'au-dessus de moi de grands nuages blancs passaient. Et j'ai aperçu au loin ce qui m'a semblé être l'explosion d'une étoile, ou un météore s'approchant de la Terre et grossissant à une vitesse effrayante. Peut-être était-ce une supernova en train de naître en nous absorbant ? Pendant quelques instants j'ai eu peur, mais ce n'était que la lune, intense, un peu rouge, dans une trouée inattendue entre les nuages.
Puis le ciel s'est refermé, grisâtre et faiblement lumineux, comme s'il n'y avait pas de nuage.
Il y a eu de nouveau le rougeoiement de braise comme un début d'incendie, éteint, rallumé, puis l'or éclatant du croissant délivré.
De nouveau tout s'est éteint.
Et puis il y a eu un éclair très éloigné, et j'ai attendu en vain le coup de tonnerre.
Je suis à la fenêtre, presque nu. Il fait chaud.
Bonheur.

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Ce monde inhumain, ce monde absurde est fait pour nous. Parce qu'il nous ressemble. Ce sont nos craintes, notre timidité, qui nous retiennent de nous voir tels que nous sommes, immenses, fous, délivrés. Semblables à lui.
Alors, quand j'entends dire que Dieu joue aux dés, mais avec des dés pipés, ce qui est la réponse des physiciens actuels à Einstein ( «Dieu ne joue pas aux dés» ), j'ai envie de sourire. Cette problématique est celle d'esprits limités; la question elle-même ne se pose pas : nous sommes les dés, nous sommes la main qui les lance, nous sommes Dieu !

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Ceux qui ont perdu la confiance la cherchent ailleurs, derrière les masques que Duplicité veut bien leur tendre. On n'apprend rien dans ces voyages. Comme une onde concentrique qui court à la surface de l'eau la conscience s'accroît autour d'un point central invariable, qui est la Confiance.
Mais la confiance en quoi, en qui ? En ce qui est.
N'est-ce pas évident que toute étude, toute recherche motivée par le désespoir ne peut en rien aboutir ?
La perversité du cartésianisme est de proposer une confiance artificielle qui pérennise un état générateur du Mal. (Je hais Descartes !)
Dans le vrai, je ne cherche pas, je trouve.

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Crois-moi , il n'y a pas sur Terre que ce pays sans grandeur. Il y a encore là-bas, du côté où le soleil se lève, des visages de femmes et d'hommes beaux comme la terre, et des regards qui ont le ciel pour mesure. Il y a des pays de misère où tous, la paysanne, le manoeuvre, s'habillent, marchent, s'expriment, avec une aisance princière, des pays de misère où le voyageur que tu es recevra partout des cadeaux. La misère là-bas et la misère ici ce n'est pas pareil.
Il y a des fleuves lents, et des bateaux anciens qui les parcourent tandis que planent au-dessus comme des oiseaux les mélopées. (...)
Ils ignorent le mal et c'est pourquoi ils sont vulnérables aux pièges que nous leur tendons. Ils nous prennent pour des faiseurs de miracles, des démiurges, parce qu'ils sont humbles. Mais sur leurs brûlis pousse l'amour.
Et toi qui as vu construire une tour du tambour, tu sais qu'ils sont savants, autant que nous le sommes, mais plus près de la vérité que nous.
Quand ils auront compris que nous ne sommes pas supérieurs, que notre mode de vie n'est pas enviable, alors ils nous auront devancés.

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Si l'homme (le mâle humain) était ce porc immonde, ce monstre abominable, que tant de femmes continuent à craindre, à haïr, pourquoi la Nature, Dieu peut-être, lui aurait-elle adjoint cette merveille absolue qu'est Patricia, petite blonde à la beauté si parfaite, que la bave me vient aux lèvres encore rien que d'y penser ?
Et pourquoi Patricia, avec sa grâce et sa candeur lumineuse n'adorerait-elle rien tant que sentir sur sa peau mes grosses pattes de brute éblouie et maladroite ?
Tandis que toute mon éducation me fait sentir impur et honteux, elle plante dans mes yeux son magnifique regard bleu qui dit : "Tu peux y aller, je n'ai pas peur de toi !" ("Kiss me, stupid !")

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Amour, c'est le nom que tu portes, depuis le commencement des temps, nuage invisible flottant partout sur cette planète, au-dessus des peuples errants, des armées venus des steppes, longue écharpe blanche...
Partout, vallées verdoyantes, savanes brûlées... au coeur des forêts profondes, au-dessus des huttes des petits hommes.
Ils ne te voient pas quand tu te mêles à l'aurore blême, aux brumes du soir, aux tempêtes sur la mer.
Souffle tes fantasmagories et tes ombres, souffle tes silhouettes de sorcières, tes plumes blanches...
Entoure-les, ligote-les, fais surgir tes armées, qu'elles défassent les leurs
Prend leurs enfants par la main, parle-leur à l'oreille, remplis leurs âmes
Glisse-toi dans leurs paroles, leurs musiques, jusqu'à l'horizon
Soumet cette planète comme une fièvre, une intoxication...

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Si je peux encore danser aux prairies de la vie, à l'innocence, c'est avec un chat. Eux seuls me comprennent.
Ils connaissent comme moi, je connais comme eux, le jeu de la légère distance qui nous permet de nous aimer dans la surprise d'être vivant, comme des idiots, des imbéciles heureux, des pauvres d'esprits.
Ils savent comme moi, je sais comme eux, que ce que nous éprouvons n'est pas soi, mais un grain de poussière, un grain de pollen, un grain de sable qui bloque les rouages de la machine-folie, de "je-suis-celui-qui-est", puisque nous ne sommes rien, justement, que poussière.
Celui-ci penche la tête et me regarde, inquiet sans raison, conscient de l'être, suspendu à cette sensation comme une marionnette à un fil, attend que j'en rie, m'en remercie -ça je le sais je ne sais pas comment- puis repart, joyeux, reconnaissant, plein de désir et de passion.
Cet autre, ambulatoire indocile, sinue entre mes jambes comme pour emmêler les fils de nos deux vies, croise ma route, la coupe, la recoupe, me fait trébucher, m' épuise par cette lutte fratricide, qui veut peut-être dire : "je t'aime, reste avec moi". Je le regarde glisser entre mes jambes, il n'y a ni fils, ni emmêlement : c'est un nageur dans la lumière !

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Ces oiseaux portent mes espoirs.
Ils volaient vers le nord, là-haut, un couple, dans le ciel gris.
Le vent, la fraîcheur.. Par delà l'horizon... Ils sont libres.
Mon coeur a battu dans ma poitrine, j'étais heureux.

Vivants, comme eux, de par le monde, s'élancent mes espoirs...

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Tant que j'étais un pervers sexuel -oh, pas bien méchant, juste de quoi paraître intéressant en société, à peu près comme vous- je pouvais comprendre qu'on construisît des ponts, des barrages, des autoroutes, des ouvrages d'art, de plus en plus compliqués, savants, performants. Qu'on arasât une paisible colline, qu'on perçât une montagne souveraine, qu'on aplanît ceci, dressât cela... Il paraissait normal d'imaginer les tracés, les épures, abscons, intellectuels. Mais lorsque l'aiguillon secret cesse de piquer, que la brûlure intérieure s'apaise, que la vie se rassoit vraiment, que tout devient tout simple, écrit d'avance, en ordre pour l'essentiel, ces immenses prétentions de l'homme à s'imposer dans la nature apparaissent comme une divagation, une absurdité, une folie. Pourquoi ne pas se contenter grosso modo de ce qui est ?
Je livre cette recherche à qui pourra. Trouver la corrélation entre nos civilisations et nos refoulements psychologiques.
En fait, beaucoup d'auteurs, de philosophes, ont émis l'idée implicite que l'homme ne pouvait être qu'un pervers sexuel. C'est le sens de toute théorie qui considère l'humanité comme une fantaisie, une exception au sein de la nature, une mutation oblique par rapport au règne animal, et non son prolongement, son aboutissement.
Je crains beaucoup que les Européens, en bazardant la religion, n'aient jeté le bébé avec l'eau du bain.
J'aurais fait un bon Peau-Rouge en Amérique du Nord avant l'arrivée des Blancs.

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Ces immenses draperies coupées dans la nuit sidérale qui ferment le fond de la scène, cette mise en scène solennelle de nos destins piteux, c'est Elle, la Nature.
Nous ne pouvons pas La voir sans éprouver la Reconnaissance, sans ressentir la divine distanciation qui abolit toute souffrance.

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Humains, ne cherchez plus votre devise, je l'ai trouvée pour vous ! La voici, dans son cartouche ailé, voletant au-dessus de vos guerres, de vos charniers, de votre commerce, de votre science, terrible comme une malédiction.
Entendez-la, qui cliquette comme un squelette dans un sac :
" TANT BIEN QUE MAL " !

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Je ne peux pas mourir sans T'avoir rendu grâce, sans rendre un peu du bonheur que Tu me donnes à être en vie chaque jour, Toi que je reconnais depuis ma mère dans chaque femme désirée, dans chaque femme aimée…, Patricia !
C'est une dette dont l'acquittement seul rend la vie importante. Si elle n'existait pas, je n'aurais rien d'intéressant à faire.
Te rendre grâce c'est écrire. Et écrire, c'est me délivrer de ce trop-plein de force, d'émotion, de vérité, que sais-je encore…, qui m' étouffe, et dont je ne sais pas grand-chose avant de l'exprimer, sinon qu'il me vient de Toi.
Et ce faisant, je vis.

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Il y a une manière irrévérencieuse de penser -blasphématoire, peut-être- qui n'offusque ni Dieu ni les anges mais qui fait peur aux hommes qui ne sont pas libres, une liberté sans mémoire qui n'offense pas les morts toujours présents qui nous protègent.

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Je me suis levé en pleine nuit et j'ai vu le ciel, un ciel pur, clair, incroyablement jeune et dynamique. Les étoiles, pour la première fois depuis longtemps dans ma vie, et peut-être même pour la première fois absolument, m'ont paru pleines de santé, de gaieté, des fillettes, des sœurs, toutes proches, non de lointaines, distinguées, vieilles marraines.
Nous sommes tous trop conscients en général de ce que nous savons, c'est-à-dire de l'échelle temporelle du cosmos, pour sentir ce qu'il en est vraiment, la goutte d'eau du commencement dans l'océan de l'éternité voulu par Dieu.
Tout l'univers est en pleine innocence, un bébé… ça brille, ça clignote, ça gesticule, moi, je vous le dis, et c'est d'autant plus beau.
Cela me console de me savoir mortel. Mourir en pleine fête, en plein printemps, dans l'allégresse universelle, ce n'est pas, pour moi, gravement mourir.

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On peut facilement s'imaginer que le destin extraordinaire d'un conquérant poursuivant la domination universelle présente pour l'univers une utilité supérieure, donc fascinante, voire admirable, mais on se trompe.
Tandis que règnent au-dessus la fureur et les grondements de l'épopée formidable qu'il commande contre l'empire ennemi, tout en bas, dans l'herbe, au fond d'un trou minuscule dans la terre, vient au monde modestement un bébé sauterelle porteur d'une mutation génétique qui servira à anéantir la race humaine à l'heure voulue et tout souvenir des caprices " historiques " de l'autre Napoléon.

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J'aimerais sérieusement que vous ne me considériez que comme une apparition, un être sans limite, une sorte de fantôme ou de fumée sans contours distinct, ce que je suis en vérité, tant au physique (car je suis composé d'atomes c'est-à-dire de vide), qu'au spirituel.
Où commencé-je et ou finis-je ? Je n'en sais rien et je trouve odieux que vous m'obligiez à faire comme si c'était différent.
Je sais, vous ne m'infligez cette restriction que parce que vous la subissez vous-mêmes, en vous y soumettant.
On vous a donné jadis un prénom et un nom, un âge que rien ne prouve vraiment, un sexe dont vous doutez quelquefois ou souvent, bref, toutes sortes de caractéristiques auxquelles vous devez vous identifier quoique vous vous rappeliez encore parfois l'époque heureuse où cela n'avait aucune importance.
Votre enfance.

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