...Des millions d'insectes




Je les aime ! Que peut-il y avoir de plus respectable que cette présence fondamentale, obstinée, réprouvée par les hommes, intense (pullulante), qui est en soi toute la Vie ! S'opposant, avec sa merveilleuse fertilité à l'asepsie morbide de notre hygiène, à la mort elle-même qui est stérilisation ! Quelle beauté dans ces élytres, ces corsets, ces armures ! Quelle passion dans ces grouillements, ces fourmillements, ces ruissellements ! Je me souviens d'avoir ressenti dans mon enfance, au spectacle du bousier roulant sa sphère avec une indéfectible application, le même sentiment que les anciens Egyptiens, qui firent de cet insecte (comme toujours avec une éblouissante justesse puisque le chat représentait pour eux la joie et l'amour) l'image de l'éternité !
A plat ventre dans la poussière pour mieux l'observer, changer d'échelle, accéder à sa dimension, j'ai compris la portée symbolique de son destin. Comme la trajectoire sans alternative d'un astre dans l'univers, son acte accompli avec une volonté infaillible, édicté de manière immuable par Dieu, anéantissait le temps...
Dans le lucane cerf-volant, à cause de son étrangeté et de sa solitude, je voyais un frère d'infortune. J'avais peur de l'invisible fourmi-lion tapi dans son piège de sable. Vie invincible, utile presque autant que l'air et l'eau, ce qui n'est pas le cas de l'homme. Du moins, physiquement. Peut-être y a-t-il à notre présence sur terre une finalité spirituelle ? C'est ce qu'envisageait Teilhard de Chardin...