Le lucane





Je n'irai pas jusqu'à affirmer, comme naguère un savant* célèbre, que les insectes me procurent la même impression que des bijoux, mais il est vrai que le lucane cerf-volant évoquait pour moi, dans mon enfance, quelque ustensile apotropaïque -comme la figure de Méduse peinte sur les boucliers antiques- qu'on eût brandi en l'air comme une lampe (faisant reculer les ténèbres), avec sa forme de lyre satanique, sa beauté d'emblème maléfique analogue à celle des masques africains et des talismans produits par la technologie d'aujourd'hui : les appareils photographiques japonais !
Ne se pouvait-il pas aussi que ses cornes eussent servi de symbole de reconnaissance pour des initiés capables seuls d'apprécier leur signification ésotérique, qu'elles eussent émis ou non des ondes, des vibrations infra-humaines destinées à des envoyés d'un autre monde, tangent au nôtre en quelque point secret, et dont le lucane eût participé, comme les triskels celtes qui sont des portes trans-dimensionnelles ?
Cet insecte monstrueux et beau comme une armure de samouraï contredisait les normes moyennes auxquelles on m'avait habitué. Je me sentais beaucoup plus proche, plus semblable, de ce fatidique chevalier noir tournant en rond dans la poussière, que de mes propres frères, les humains, dont la médiocrité, le conformisme, m'ont toujours été insupportables.

* : Jean Rostand.




Le cavalier de l'hippocampe
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