carnet 20


Le géant


Tout en bas, dans l'obscurité, mes orteils s'ébattent dans une eau croupissante parsemée de débris organiques suspects où foisonnent des serpents, ondoiement incessant de lueurs argentées aussitôt éteintes.
A mes chevilles la canopée semble une vapeur verte irisée des reflets du soleil, qui vibre, ondule, avec ses arcs-en-ciel d'oiseaux multicolores, ses geysers de singes jouant à se poursuivre, et son calme ressac de mer éternelle.
Autour de mes hanches, déjà il n'y a plus d'oxygène. Le froid mord. La glace et le givre font des guirlandes à ma taille comme un pagne d'ascète.
Dans le silence et le vide à peine troublés, de siècle en siècle, par un passage de comète, au seuil des étoiles, se soulève ma poitrine.
Quant à mes yeux bien ouverts, ils ne voient que la Lumière Absolue, là-haut, au-dessus de ce qui est créé, à l'instant du Verbe !

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Tu n'aimes pas cela, les petits matins frais après la pluie, un peu frisquets mais toniques, lorsque tu te rends au boulot, en traversant le théâtral et dédaléen -absurde, laid, sale- décor de béton (Saint-Denis quartier Basilique) foncé par l'humidité ? Arcades, escaliers, murs transversaux, terrasses mitoyennes, patios, destinés, selon l'architecte lui-même, à favoriser les rencontres, les échanges humains, incroyable utopie des années quatre-vingts, qui aboutit aujourd'hui à une méfiance exacerbée, la peur de l'autre, un sentiment permanent d'insécurité, une violence commune, généralisée, la vulgarité des jeunes, l'incivilité élevée au rang de culture sans que la moindre tentative d'y pallier culturellement n'émane des instances municipales. Au lieu d'informer, d'instruire, d'éduquer, on conforte encore les gens dans le repli identitaire, puis on bloque les passages, on ferme les portes, on condamne les escaliers, dénaturant le projet original pour redessiner le grossier mandala de l'échec, de la bêtise, de l'intolérance.

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La Vérité est très difficile, parce qu'elle est toute en nuances, en subtilités. Par exemple, il est impossible de dire : « tout va bien ! », mais « tout va mal ! » est faux aussi. L'esprit humain, et a fortiori l'esprit cartésien, adore les opinions tranchées, mais, en matière de vérité il faut davantage de souplesse, moins de volonté, plus de vide.
Cela ne signifie pas, comme tous les salopards le proclament, que tout soit gris. Encore un « tout », là, qui manque de vérité ! Le blanc et le noir -clairement le bien et le mal- existent et ne se mélangent pas, à moins qu'on cherche une excuse à quelque turpitude qu'on a commise naguère et qu'on veut continuer à commettre impunément.

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J'aime la vie, infiniment, et je suis plein d'espérance. Et, dans cet élan merveilleux, je t'aime aussi, passionnément. Mais j'ai la désagréable impression que, contrairement à moi, tu es tournée vers la mort. Ce que tu regardes, qui t'importe, ce sont toutes ces stupides conventions qui t'ont été inculquées, ces valeurs sans intérêt, la famille, la société, l'Etat, qui ne sont que des leurres destinés à des corps et non à des cerveaux, des esprits.
Si je devais être d'une civilisation exclusivement et contraint de l'être, je voudrais être un Indien d'Amérique du Nord, un de ces extraordinaires « Peau-Rouge » de jadis, libre et sans compromission, avec, pour avenir ultime « un beau jour pour mourir » et l'éternelle chevauchée dans les plaines infinies du Grand Manitou.

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Tous les crimes que j'ai commis durant mon enfance n'ont existé que dans mon imagination. Pourtant j'en ai porté le fardeau écrasant durant presque toute ma vie. Par exemple, et non des moindres, celui de ne pas être intervenu immédiatement en faveur de ma soeur quand celle-ci fut réprimandée par mon oncle pour avoir laissé ouverte la bouteille de limonade que je renversai durant mon orgasme. Ce fut pour moi aussi lourd de conséquence que de me savoir tout à coup atteint de la tare génétique qui devait me conduire fatalement, selon la formule consacrée utilisée régulièrement par mon père, « sur l'échafaud » ! J'étais mauvais. A cinq ans et demi ! Et pourtant, le plaisir à peine effacé, je me suis empressé de réparer ma faute.

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Je me demande ce que pourrait bien comprendre ce président de la République qui se vante de ne considérer en tout que la performance et le résultat, à un parcours comme le mien dont le difficile accomplissement a consisté toute ma vie durant (parce que j'atteins mon but !) à abdiquer la volonté personnelle dans la perspective de favoriser la réalisation du moi inconscient ?
Lui dont les tics révèlent la violence permanente faite à son âme.

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Quand elle m'embrassa avant d'aller se coucher, nimbée des parfums médicinaux de ses soins de beauté, je sentis que tout ce qui était à droite en moi passait à gauche et tout ce qui était à gauche passait à droite en glissant et en permutant, puis reprenait ensuite sa place, selon un de ces lents mouvements photographié patiemment image par image et projeté ensuite en accéléré avec un film qui prend feu malencontreusement et disparaît en fumée.
Les armoires à glace devinrent molles et s'effondrèrent en se liquéfiant tandis que les plaques tectoniques se chevauchaient. Le ciel passa du bleu au vert puis au rose et au gris cendré avant de redevenir bleu. Les canards s'élancèrent en poussant leurs coin-coin. Dans un épouvantable fracas, les serrures se verrouillèrent pour, finalement, tomber en morceaux.
Le tout en exactement quatre secondes.

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N'ayant jamais connu de bonheur durable, ou devrais-je dire n'ayant connu que des plaisirs, des joies éphémères, et, seulement en reconsidérant le passé, le bonheur a posteriori, je vis actuellement chaque journée, pleine, heureuse, comme si elle était la dernière, car, le matin suivant, il me faut beaucoup de temps pour comprendre que, comme la veille et l'avant-veille, cela se perpétue.

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C'est étrange. Il y a des lumières qui deviennent des couleurs qui deviennent elles-mêmes des matières -le bleu ardoise transparent du verre et de l'acier- et qui se figent en éléments du paysage. (Formes muettes (la forêt) se découpant en partie sur la blancheur du glacier. Fumées, banderoles grises. Vent d'ouest. Légers flocons.)

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Il était en permanence amoureux, mais pas seulement d'une femme ! De tout, du temps qu'il fait, des hommes, des animaux, d'un livre, d'une musique, constamment et dans son état normal ! Ce qui ne lui avait jamais laissé que la dévotion, une ferveur mystique, pour se sentir passionnément épris, et désirant physiquement une compagne.
La seule chose qu'il n'aimait pas c'était lui, et c'est ce problème, ce frein, qui le faisait paraître normal aux yeux des autres en l'empêchant de se conduire ouvertement comme celui qu'il était sans s'en rendre compte, potentiellement : un illuminé !
Il suffisait qu'il revoie le parcours qu'il avait suivi et en comprenne le sens, se libère de sa culpabilité, réalise sa personnalité, pour atteindre sans doute l'état de conscience supérieur qui correspond à l'Amour.

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Mentir comme il le fait, de manière éhontée, en déformant systématiquement le sens, la véracité des mots, tout en ayant l'air d'être du bon côté de la morale, comme le firent naguère ceux qui inventèrent le slogan : « la publicité c'est le rêve » pour ne pas dire « c'est le mensonge » -tiens, oui, c'est une pratique de publicitaire !- aggravant ainsi en permanence l'ambiguïté naturelle du langage et le doute dans les intelligences immatures, me paraît un exemple extrêmement dangereux dans la mesure où il émane du plus haut poste de l'Etat, lequel -c'est bien regrettable- influence psychologiquement comme on l'observe, la plus grande partie de la nation.
C'est faire le lit, non seulement du mensonge et du cynisme, mais de la pire dépravation intellectuelle, et est-il nécessaire de le préciser, du Mal en personne !

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La femme (pour moi) n'est pas là pour provoquer au sexe, elle est là pour provoquer à l'amour, dont le sexe n'est qu' une conséquence. Cette sexualité là est la seule orthodoxe.
La sexualité déviante fonctionne indépendamment du désir amoureux, de manière autarcique, autonome, plus exigeante et plus puissante, tyranniquement, à partir des besoins libidinaux et des fantasmes. Les deux peuvent coexister, l'une des deux empiétant forcément sur l'autre, l'influençant.

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La créativité est ce grand courant en nous qui brasse rêves et espoirs, connaissance intuitive et raison, images et sensations, dans un flot formidable et rythmique, et qui, sous les traits de la femme aimée apparaissant, est la vie même !

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Ce serait cela la grande faute, l'abominable péché dont j'ai traîné le fardeau écrasant et la solitude toute ma vie, redoutant comme la mort d'en sentir l'empreinte, de le revivre : ayant été abandonné sur un trottoir des Buttes-Chaumont à l'âge d'un an, juste après avoir fait le choix du bien contre le mal et d'en avoir espéré la récompense, en avoir ignoré la véritable cause et m'être cru accablé par Dieu ?
Moi qui avait pourtant l'instant d'avant aperçu Son sourire, là-haut, le visage de la bien-aimée (?) dans les nues, dans les cieux ?

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Le cartésianisme implanté, et, d'une façon générale la mentalité  «moderne», nous persuade que l'appauvrissement en images, en symboles, en poésie, de l'esprit, résultant en fait des culpabilités inconscientes, du refoulement, est un progrès de civilisation.
Comme si les malheureux citadins sans âme que nous sommes, ne survivant qu'à coups d'excitants et de tranquillisants alternés, étaient plus près de la vérité (et de Dieu !) qu'un sauvage adorant les plantes, les cailloux et les ombres de la nuit !
Au moins celui-là sait-il de quoi il a peur !

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Je connais la peau ocellée du jour, sa peau de jaguar, de félin bondissant, et ses crocs de lumière dans sa gueule dévorante et attendue.
Je connais la peau ocellée du bonheur en été, sa dense fourrure, sa lourdeur élastique sur moi.
Se pourrait-il que la récupération de ces souvenirs, de ces sensations d'enfance, rende la mort aujourd'hui acceptable ?

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C'est sans doute d'avoir atteint l'âge auquel il ne reste plus de désir essentiel que celui de parvenir à la paix qui me fait prendre conscience que la mode en matière de création artistique et littéraire consiste principalement à avoir l'air d'être en guerre.
A moins que ce ne soit pour mes contemporains que l'impossibilité de trouver en eux-mêmes autre chose.

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Il y a des qualités humaines qui sont passées de mode, comme, par exemple, la gravité. Dans mon enfance, il me semble, elle était plus répandue, réelle ou feinte; les gens en jouaient plus souvent.
La gravité est le contraire de la légèreté, et vous ne nierez pas que cette dernière, ou, du moins, la prétention à cette dernière, est ce que nous voyons le plus, notamment à la télévision, qui est à la démocratie ce que les courtisans de Versailles étaient à l'absolutisme de Louis XIV... l'essence de la société. Et pendant ce temps-là, évidemment, le bon peuple est ailleurs, c'est-à-dire nulle part, dans l'imitation parfois, le plagiat toujours (la vulgarité), le renoncement ou l'ambition. (Quand on n'est rien, on ne peut authentiquement que devenir Bouddha...)
La gravité surgit dans l'âme quand la conscience de la souffrance humaine est complète. Ce n'est pas une gravité difficile à assumer, parce qu'elle est naturelle, logique.
Devrait en découler, selon la même logique, l'indulgence.

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L'innocence est dans les yeux de mon chat, et ça, tout à coup, lorsqu'on a passé la journée avec des humains, lu la presse, écouté la radio, regardé la télé, c'est l'eau lustrale, une brève vision du ciel toujours oublié, la rédemption !

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Et si le piratage des oeuvres musicales (puisqu'en fait on ne parle que de cela) sur Internet n'était qu'un retour à la normale ?.. La satisfaction immédiate et gratuite de tous ceux qui n'ont pas un réel besoin de l'oeuvre et qui ne souhaitent, en réalité, que se débarrasser d'un besoin artificiel créé par un système qui ne l'est pas moins soutenu par le fléau de la publicité ? Et/ou qui, compte tenu de la médiocrité de l'oeuvre, n'en feront qu'un usage obligatoirement superficiel durant une courte période ?..
On se demande en effet pourquoi un piètre compositeur, un parolier, un chanteur, deviendraient millionnaires pendant que des ouvriers, des employés, leurs clients, suent sang et eau jour après jour avec un salaire à peine suffisant pour vivre ?..
La remise à plat de l'arnaque habituelle qui fait des stars du show-bizz les rois du monde en échange d'un talent bien quelconque comme le démontrent involontairement les émissions de télé comme la Star'Ac et Nouvelle Star ?.. Sans oublier la triviale «industrie du disque» qui, d'ailleurs, abritée derrière ceux-là, empoche la plus grosse partie des revenus...
L'arrêt, somme toute, de l'immense abrutissement institutionnel qui contraint la majorité des gens à n'être que de stupides consommateurs vulgaires et obéissants pour le bénéfice d'une poignée d'imbéciles, victimes autrement, puisqu'ils ne savent pas où se trouve leur véritable intérêt, l'intérêt humain, spirituel ?..
Eh bien, oui, le juste retour des choses !..
.......................................................................................
Parce que la loi du marché se heurte toujours à la loi naturelle.

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Signe astrologique : Poissons

Je vis dans mon cerveau comme Robinson dans son île et parfois, moi aussi, je découvre des pas dans le sable comme si je n'étais pas seul mais personne ne se montre.
Encore heureux.
Un mobilier constitué d'épaves comme si le temps s'était arrêté ou que je fusse là depuis toujours, et c'est beau. Anachronisme est la règle. Le lustre en bois flotté brille comme du cristal et les lamproies-candélabres émettent une lumière électrique.
On devrait voir passer et disparaître, fantôme silencieux dans une somptueuse robe du soir, la Femme... et la porte invisible qui s'était ouverte sans bruit se refermerait. Mais bientôt, toujours aussi silencieuse et égale à elle-même, Elle reviendrait.
Il devrait... car je ne sais pas si je rêve ou si c'est vrai.
Qu'importe.
Je suis seul et un peu à l'étroit malgré le paysage vertigineux qui se découpe dans la meurtrière.
(Parfois trop à l'aise.)
La plage, la mer, la végétation tropicale, le ciel bleu.
Le ciel bleu, la végétation tropicale, les rouleaux d'écume, la plage.
Et ces marques de pas qui s'y impriment...
Mais quel jour suis-je ? Je veux dire " quel jour sommes-nous" ? Le jour du poisson, vendredi ?

Et l'amour, est-ce vrai qu'on ne peut l'acheter ni le vendre, dis ?

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Opéra rock


Vous êtes un opéra rose (la plupart des opéras sont bleus)
Un lit de roses à baldaquins flottant sur les flots bleus
Et le vent qui gonfle les voiles est une musique
Une musique d'opéra.

Baudelaire adorait Wagner
Mais à cette époque il n'y avait ni disques ni radio
Imaginez-vous sa frustration sa désespérance
Quand le poète était mourant Mallarmé envoya sa femme le lui jouer au piano.

Il y a aussi la guerre les mains coupés les intestins répandus sur le trottoir
A cause d'une roquette du Hamas ou d'un char israélien
La mère mourant l'enfant qui agonise et toutes ces larmes de crocodiles...

C'est absurde mais je préfère m'enivrer de l'odeur de tes cheveux
Nous allons deux fois par semaine assister à un concert
Nous avons un abonnement Salle Pleyel
Officiellement il est interdit de se branler dans les toilettes
Comme si la musique et le sexe n'avaient pas partie liée.

Je ne sache rien de plus beau qu'un con de femme
Un con bien ravagé bien baveux bien poilu
Aux sombres lèvres martyrisées qui expriment l'impitoyable tyrannie du plaisir
Deux grandioses escalopes à moustaches comme les Japonais savent les représenter
Dans la splendeur tumultueuse de la soie des kimonos.

Car la musique est l'écrin de la nécessaire sauvagerie
L'écrin de la nature et les femmes aux visages les plus nobles
Se doivent d'exhiber une chatte capable d'engloutir entier un samouraï
Leur sexe est l'unique alternative à la guerre.

Nous ne sommes pas là pour tresser des roses ou pour faire des ikebanas
Nous sommes là pour insuffler la vie à un monde moribond et faire pièce à la politique
Et la vulve des femmes a pour unique raison d'être
Qu'éjaculent les héros des jours ordinaires à la face des dictateurs !

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Aujourd'hui


Ciel bleu neige blanche
Le monde est comme moi
Et tu es comme lui
Etrange mystérieux et belle.

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Je perçois de plus en plus la complexité magique de la réalité, impitoyable parce que n'obéissant qu'à elle-même, à ses lois non humaines, mais prodigue en miracles selon nos propres désirs, dans la mesure où nous parvenons à la rejoindre, ce qui, somme toute, n'a rien que de normal puisque nous en sommes issus.

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Tu as autant d'attrait pour moi qu'un paquet de ris de veau.
Je sais bien que beaucoup de gens s'en régalent, à ce qu'il paraît, mais, à mes yeux, ce n'est pas autre chose que ce qu'en dit le dictionnaire : "...cellules épithéliales, thymus", et ce que je me représente : une matière amorphe et gélatineuse, blanchâtre, inintéressante, bref de la merde sans couleur, sans odeur et sans saveur, excepté peut-être quand elle se corrompt au contact de l'air, devient verdâtre, se décompose et se met à puer.
Et puis c'est un organe, comme les reins, les poumons, le foie, et ça me dégoûte ! J'ai déjà du mal à consommer du muscle, du steack, alors là, inutile de dire que je me détourne.
Ma chérie, reste sur ta plaque de marbre froid, à la devanture de la boucherie ! Il se trouvera bien un pervers pour te désirer et t'emporter chez lui, faire de toi ses choux gras, son gâteau, son chocolat, tandis que moi, végétarien, je me nourrirrai peut-être et tant bien que mal de la lumière et des rayons venus de l'outer space !

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Moi dont le coeur embrasse toute la terre, embrasse les montagnes, embrasse les océans, et sur chaque montagne, dans tout océan, embrasse toute vie d'un amour indéfectible, depuis le yack à la brune toison jusqu'au brin d'herbe gelé dans une anfractuosité de roc au Tibet, depuis le lent et majestueux cortège nocturne des nuages jusqu'à l'humble frange d'écume à l'aube sur la plage, moi dont l'oeil de poisson capture d'un seul regard les maisons blanches et l'église grecque sur la falaise et la mer bleue jusqu'au ciel confondus, le volcan et la voile blanche à l'horizon, vivant diorama dans un miroir de sorcière, je ne sais pas tenir la main d'une fille sur mon balcon et qu'elle s'enchante à jamais de cet amour...

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Que va dire-t-on, que va-t-on dire ?*
Va-t-on dire oui, va dire-t-on non ?
Ou je restons ou nous dois fuir
Il faut choisir mauvais ou bon
Beau ou bien laid et s'y tenir
Que va-t-on dire, que va dire-t-on ?

*Nadine

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L'observation des animaux (je pratique constamment celle des chats) nous prouve que les qualités qui nous paraissent résulter de l'éducation et de la plus haute culture : sensibilité, délicatesse, noblesse, caractère scrupuleux, loyal, etc., sont en fait l'essentiel de la sauvagerie et de la nature. Si nous ne les observons chez les humains que dans le cas évoqué, c'est uniquement parce que, chez nous, ne sont considérés comme "sauvages" que les abrutis violents, ceux que la sociétés détruit en leur mentant, et non pas les rares qui ont échappé au massacre et ont soit conservé soit retrouvé en eux-mêmes le plus authentique et le plus sûr du courant vital.

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Non mais, franchement, tu ne veux pas me faire croire que la vie c'est :
le RER, la RATP, l'UMP, Sarkozy, le TGV, France-Inter, le PMU, la Bourse, le plan de relance, le quinquennat, Martine Aubry, Hugo Boss, laisse-moi me marrer,
toutes ces pages glacées de magazines avec des pubs pour des montres, des voiliers, des chaussures,
le drapeau tricolore en porcelaine, en laine, en acrylique,
la démographie,
Bernard-Henri Lévy,
la Licra et le lycra,
Tolbiac et Biactol,
bruit et fureur,
caleçon et chaussettes,
même si c'est cela aussi, la vie; pour moi, elle est uniquement :
la houle musicale de l'Univers dans le grand silence absolu,
les vents magnétiques venus de là-haut qui font scintiller et les étoiles et les roses, et les aurores boréales et les yeux de mes chats,
les grandes colombes de paix déçues qui ne mangent plus que dans la main des poètes,
la télépathie entre Son mammifère préféré et Dieu, les autres créatures confiantes en Sa main,
la neige éternelle des sommets et les cheveux blancs de ma mère mourante,
les branches du marronnier devant la fenêtre qui se couvriront après de bourgeons,
celle surtout qui tape doucement au carreau pour lui dire d'emprunter l'échelle,
l'orgueil assoupi, la main ouverte,
le souffle léger, comme le pied,
et l'âme qui s'en va sans faire de bruit.

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A la campagne tout m'émerveille : les buées, les transparences, les reflets -splendeur de la lumière irradiant la chlorophylle- et cela couronne toujours pour moi ce qui semble repoussant aux citadins : la pesanteur et la noirceur de la glèbe, dans les pourrissements, les transmutations, le charroi permanent de la mort.

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La vie : une aventure surhumaine ! Pour moi il s'agissait ni plus ni moins, à l'âge d'un an, que de lâcher la main de Dieu -Dieu révélé et présent- et d'inventer seul ma route avec ma propre notion du Bien et du Mal sans doute différente de la Sienne...
Et, de ce "surhumain" qui m'était venu aux lèvres une bonne trentaine d'années plus tard, le commentaire de ma psy fut :
"Bof ! Et alors ?"

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Je ne considère en toutes choses que la couleur émeraude
La couleur du bonheur
Les reflets micacés la brillance
Comme à l'orée de la plage près de la maison
Dans l'ombre et sous l'angle aigu de l'atterrissage
Sur le sable le fameux jour cité plus haut, le jour où...
Dans le ciel avaient caracolé des hordes de chevaux sauvages
Crinières blanches grondements de sabots encolures moutonnant
Les étoiles brillaient en plein jour
Et Dieu devait apparaître.

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On ne peut rien contre le sort
Il ne sert à rien de se rebeller
Je suis mon propre otage
Dans ce bras de fer qui m'oppose au sort.

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L'idée fameuse selon laquelle : "Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour", triviale s'il en est, et qui plaît, n'est pas vraie ! Sans doute n'exprime-t-elle que le doute qui assaille en permanence tous ceux -nous tous- dont l'enfance ne fut pas heureuse.
Mais je dis qu'il y a de l'amour, pourvu qu'il n'y ait pas de preuve du contraire !

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La Voie Médiane, la seule juste comme l'attestent toutes les traditions, a ceci d'ingrat qu'elle prive celui qui la pratique, aux yeux des autres, de toutes les qualités répandues. En effet elle dispense d'avoir les défauts qui permettent ces qualités.

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A
Il y avait alors la Durée hospitalière, la si confortable, accueillante et perpétuelle durée, dans laquelle je vivais alors innocemment, l'innocence étant précisément indispensable à ce séjour sans limite, à cette immortalité consentie par la nature aux hommes.
J'avais sept ans.
Je perdis cette innocence : floc flac dégoûtant des chairs heurtées, bruits de succions, savantes violences, avec finalement un orgasme multiple... couché par terre près de mon vélo lui-même à l'horizontale, roi de la pédale, dans un effondrement lascif.
Ensuite, par rapport à ce bien que j'avais inventé un jour en interprétant faussement ce qui n'était que l'inconscience, la passivité de ma mère, la durée fut remplacée par le Temps, une idée comme l'Argent, un concept humain.
Payée à ce prix, la volupté ne sera désormais qu'un péché atroce.

B
J'ai endossé l'habit d'Icare le beau le bel à plumes d'oiseau à Talnedar jadis en Dimannor
Avec les plumes les griffes des pattes qui craignent les microbes et n'éprouveront plus jamais la vertu lustrale de l'eau
J'avais touché du sperme et cela ne pardonne pas
J'étais maigre j'étais passionné et je souffrais beaucoup comme toujours sans que personne n'en sût rien
Difficile ensuite de croire en l'homme n'est-ce pas
Mais l'homme c'est moi enivré de hauteur de grandeur d'altitude et brûlé jusqu'à retomber aux abysses coelacanthe aveugle et sourd et gélatineux
Il y eut le chiffre neuf et puis le cinq celui de la main et puis peut-être aussi le trois enfin bref ça carburait beaucoup au symbolique
Je tirais sur ma culotte je regardais mes genoux mes belles sandales j'étais désespéré
Je tirais sur la chaîne de mon couteau
C'est là que j'ai perdu ma mère et avec elle les orientales les parfums la musique le plaisir
Bah oui pour fuir la souffrance je me suis embarqué dans l'intellect avec papa la ratiocination la raison "objective" le raisonnement rassis: bon petit garçon
Si je pensais sérieusement je n'aurais plus peur je ne me sentirais plus coupable
Cartésien pour qui aucune eau n'est pure et qui espère se contrôler pour ne plus être malade.

Le bonheur est cette chose si infiniment précieuse qu'on aurait dû en mourir, ou au moins mourir en le perdant, et c'est à coup sûr ne pas en être digne que de lui survivre.

C
Mauvaise conscience, ressentiment, ascèse...


la pire des choses, surtout dans l'enfance, quand il n'y a pas de demi-mesure, qu'on n'y va pas avec le dos de la cuillère...
Mézigue, je me souviens, à sept ans, croyant que ma mère ne m'aimait pas alors que j'étais en vacances chez des voisins...
A la fin du séjour je pris tout ce que j'avais de plus précieux : le beau canif que m'avait offert l'instituteur à la fin de l'année parce que j'étais premier de la classe, la patte de lapin, celui que mon père avait eu la cruauté de tuer sous mes yeux, et surtout mon premier manuscrit, l'adaptation théâtrale des Trois Mousquetaires que j'avais écrite (et qui se réduisait à l'histoire d'amour entre d'Artagnan et Mme Bonacieux) pour permettre à un copain de faire l'acteur, la grande ambition qu'il m'avait confessée... je mis tout cela dans une boite en fer que j'enfouis dans un trou creusé dans le jardin, enterrement de tout ce que j'aimais : l'ascèse consécutive à cette mauvaise conscience qui me soufflait que si ma mère ne m'aimait pas, ne montrait aucun signe de tendresse, d'affection, c'était parce que je ne le méritais pas.
Indignité, désespoir, cruauté envers soi-même...
"Enfant luciférien", voilà, je l'espère, le dernier reproche envers moi-même qu'il m'aura fallu exhumer pour enfin respirer !

D
Un autre poète de sept ans


J’étais un samouraï à la noire armure avec une ombre cornue comme le lucane cerf-volant
Prêt à combattre jusqu’à la mort ensanglanté farouche
Que rien ne peut arrêter pas même un baiser de sa maman
Un impitoyable guerrier en culottes courtes serrant les poings
Seul sur la terre jusqu’à la consommation des siècles
Mon principal ami-ennemi portait en pendentif autour du cou un coupe-cigare flambant neuf pour m’amputer du petit doigt me circoncire ou pire encore
Il s’appelait Marcel le fils des voisins et pillait au cours d’excursions mémorables les musées de province avec sa bande de scouts Baden-Powell
Me jeter dans un champ d’orties plus hautes que moi me terrifia moins un jour que d’être attrapé par lui
Cachés dans la maison il me soufflait les bêtises –« Vas-y, fais-le ! »- qui m’attiraient ensuite les foudres de ses parents
Je naviguais alors chaque jour enfoncé jusqu’aux mollets dans l'océan d’herbe et de pommes pourries du verger qui embaumait d’un parfum entêtant puissant et ineffable comme une drogue
Tout ce que je connaissais du sexe c’étaient des hommes adultes qui me l’avaient appris théorie et pratique dans laquelle grâce à la candeur de mon âge j’excellais
Je n’avais vraiment compris qu’une chose : qu’il s’agissait d’un secret entre eux et moi qu’il ne fallait révéler à personne
Je ne dis cela que pour que le tableau soit complet s’agissant bel et bien de mon portrait en pied en enfant surdoué à qui l’on promet un bel avenir
Avenir qui jamais ne vint
Et c’est là toute l’histoire.

Larmes Acides

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1 ........
Ca en valait la peine.
Est-ce le début d'une autobiographie incendiaire, mystique, et profitable à l'humanité entière, c'est ce que j'espère en en doutant fortement. Tout ce que j'ai à dire est si difficile à croire malgré son absolue véracité, que j'hésite moi-même, que j'hésite toujours encore, moi-même qui ne doute pas, sans pouvoir avancer.
.....
Et puis sur la mémoire, la faculté du souvenir, on me dira que j'invente. Je me souviens des raisonnements que je me suis tenu quand j'étais bébé et qui furent à l'origine de ma personnalité : y aura-t-il quelqu'un pour croire cela possible ? Je n'hésite pas à le dire : les chercheurs actuels en psychologie enfantine sont des crétins ! Ils prennent les bébés humains pour des êtres inférieurs au chien, astreints à un apprentissage laborieux, quand je me rappelle les intuitions éblouissantes que j'éprouvais !
Y aura-t-il quelqu'un pour croire que je sais ce qu'est la Pentecôte pour avoir perdu en toute conscience à vingt-quatre mois, comme tout un chacun je suppose mais moi, je me le rappelle, à cause d'une faute d'ordre moral, le pouvoir évoqué dans la Bible de comprendre toutes les langues ?
Cette faute : dissimulation de la vérité à l'égard de ma mère, tricherie à peine, même pas mensonge... c'était plus agréable, ou plutôt non, pas agréable mais urgent, d'avoir le doigt de Tonton Lulu dans le cul !

Il y a eu, et il y aura encore, des livres plus effrayants. Je ne suis pas le marquis de Sade, ni Bataille, mais il n'y aura jamais de livre plus vrai. Je suis tombé amoureux de la Vérité dans mon enfance, peut-être à cause du mensonge permanent de ma mère, mensonge que je ne pouvais pas soupçonner...

Et là j'ai envie d'expliquer qu'elle était Dieu pour moi, et que, par conséquent...

Raconter sans raconter, ne pas tomber dans la démonstration... Bah oui, il se trouve que je suis aussi un artiste. Qui pourrait prêter foi à un livre qui ne serait pas d'un artiste ? Existe-t-il une autre façon de convaincre que de faire de l'art ? Je ne le crois pas.
..............

2 J'ai grandi sous un astre énorme mais évanescent : Pierrette, ma soeur, née un an après moi et morte au bout de quelques mois d'une méningite tuberculeuse.
Je m'en aperçois seulement aujourd'hui.
J'ai cru, toute ma vie, qu'elle n'avait pas beaucoup compté pour moi, en tout cas pas très longtemps. Je pensais avoir oublié cette âme que j'avais pourtant rencontrée, perçue, et naturellement aimée à tout jamais.
Ma pauvre mère ! Si elle l'avait su, cela lui aurait été certainement d'un grand secours. Chaque année, nous allions au cimetière, juste elle et moi, nous occuper de la tombe. Pendant qu'elle y mettait un peu d'ordre, un bouquet neuf, je jouais autour. Ma soeur avait donc existé un peu durant les premières années de ma vie par le chagrin de ma mère.
Mais celui-ci était battu en brèche par mon père qui répétait : "On n'y pense plus ! Même si cela n'a pas été drôle, cela a été court, sans importance . On oublie !" Et je finis, comme tout le monde, par me ranger à cet avis.
C'était faux, bien entendu, comme tout l'ordre abominable que mon père aurait voulu voir régner autour de lui, niant tout amour et toute compassion, niant toute vie autre que la sienne, et encore...
Il incarnait la même logique, j'en suis sûr, qui conduisit Hitler à se suicider avec Eva Braun et leur chien, son seul échec ayant été de laisser derrière lui une partie du monde encore debout et vivante.
Grâce à mon père je connaissais depuis l'âge d'un an pour l'avoir rencontré réellement, l'avoir perçu de tout mon être, comme une entité, une force autonome, et l'avoir haï si puissamment, mortellement, que je crus ensuite avoir commis un péché, le Mal !
..................
Mais revenons à ma soeur.

J'avais mis, jusqu'à aujourd'hui, une sorte d'orgueil à être démuni de tout et particulièrement de famille, et je découvre que j'ai eu, que j'ai toujours eu une soeur !
Elle était près de moi, tangente et invisible, comme l'immense joue d'un astre me frôlant, planant au-dessus de moi.
Lorsque Tonton Lulu -que j'ai déjà mentionné- me sodomisa à six ans et demi, je pensai usurper la place de Pierrette, parce que j'étais un garçon avec un homme et que j'aurais dû être une fille.
Un peu plus tard, vers huit ou neuf ans, ce fut en souvenir d'elle, en respect de sa mémoire, que j'acceptai la propagande scolaire qui nous était administrée au sujet des microbes et que l'univers se mit à pulluler ainsi horriblement d'êtres minuscules, invisibles et hostiles.
Je m'aperçois même que je n'ai jamais cessé de projeter sur toute créature féminine humaine ou animale que j'ai croisée (une chatte entre autres), continuant à l'aimer, cette soeur oubliée et comme mythologique, ce qui prouve l'importance du Sentiment même chez ceux qui peuvent, comme moi, l'avoir un jour perdu !

Larmes Acides

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E
J'ai pissé une fois dans les dahlias de Darnetal
Les horribles dahlias mauves verts rouges violets
Sagement alignés par centaines comme une armée
De bons soldats aux uniformes chamarrés
Sous les ordres de la sévère Madame Krausch...
(C'était la nuit et il y avait urgence)
J'avais sept ans et ce fut une petite revanche...
.....
Et maintenant ce sont les chats qui chient
Dans mes valérianes et mon millepertuis !

Larmes Acides

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On aime toute femme avec qui l'on couche, même s'agissant d'une passade d'une heure ou d'une nuit. On n'en est pas forcément conscient et/ou on le refoule mais le sentiment existe bel et bien. Cet amour inaccompli, virtuel, agit ensuite, tant qu'il demeure irréalisé, en confisquant à juste titre une part de nous-mêmes, quelque chose de notre âme.
Ce handicap du coeur, de l'espoir, et du renouveau, et qui, malheureusement, peut s'additionner, est la punition automatique administrée par la nature à ces pauvres idiots qui se croient obligés par la société d'être des don Juans.

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A un âge comme le mien l'angoisse de la mort n'est que la peur de la Punition. Mais si je dois retourner dans les bras du Créateur sans rien redouter, quelle allégresse !
Tout n'a été, somme toute, que billevesées, pipeau, et baratin, à commencer par ma mère. Alors vous pensez bien, la politique, les intrigues, les idéaux...
Il n'y a que Dieu, Dieu et moi, moi son enfant !

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carnet 20

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