La réalité et l’idéal


Je me suis souvent demandé quelle était cette chose unique que j'avais rencontrée en Grèce, cette chose mystérieuse, extraordinaire, qui me fit si cruellement défaut par la suite, et pour laquelle je me consumai en exil durant des années, à Londres d'abord, puis aux Antilles, et enfin à Paris, inquiet, malheureux, désemparé, instable.
Peu à peu, grâce à d'infinitésimales reconquêtes, puis de plus en plus largement jusqu'à un beau jour bleu-de-sucre à Paris, en regardant le vert sombre de feuillages qui me firent irrésistiblement penser (du sang coule dans mes veines) aux pins de la campagne romaine le long de la Via Appia Antica, je compris -passé immémorial toujours visible comme les ruines d'un bombardement- que cette chose était la Beauté !

Si je ne craignais pas de passer pour un menteur je dirais que j'ai vu en Grèce -en Grèce sous le soleil- d'immenses falaises de cristal émerger éblouissantes et pures de la mer...
Qui me croirait ?
Et pourtant il s'agit bien là de la beauté réelle -puisque fatale- qui faisait se consumer d'adoration Baudelaire faute d'en reconnaître en lui-même l'origine.
Tant il est vrai que peu d'artistes, et encore moins de poètes, savent réconcilier en eux la réalité et l'idéal.




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