La rivière



Qu'il soit permis à une conscience tourmentée par le problème de la responsabilité personnelle d'avouer qu'en août 1951, c'est-à-dire six ans jour pour jour après Hiroshima, je découvris à l'occasion d'une escapade interdite et solitaire -j'avais sept ans- une petite rivière argentée, lumineuse, bordée d'arbres au feuillage tombant, qui me donna l'impression d'avoir rencontré l'Eden, le pays des rêves et des contes de fée, le saint El Dorado des poètes.
Une chance extraordinaire voulait qu'il fît beau et que la lumière du soleil, filtrée au travers des feuilles, tombât exactement à la fois dans mon oeil gauche et sur la nappe liquide ondoyante me permettant ainsi, à demi-aveuglé, d'admirer malgré tout la transparence, les reflets bleus du ciel et les nuages dans l'eau, les mailles d'argent, la buée d'or, tout en écoutant, transporté, la voix sibylline du courant.
Oui, tandis que les grondements du plus terrible cataclysme guerrier de l'Histoire retentissaient encore aux oreilles assourdies de l'Humanité, je fis la connaissance bouleversante, pour moi aussi importante que celle d'un être vivant, d'un paysage de l'âme, d'un lieu à la fois matériel et idéal, appartenant au monde et différent de lui, comme le Christ dit que nous devrions être nous-mêmes.
Puis-je avancer l'idée que demeurer là est la première chose que nous ayons à faire ?




La colombe
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Le cavalier de l'hippocampe